Mesdames et messieurs les candidats,
Je suis un citoyen ordinaire, je n’ai jamais milité. Je fais partie de cette majorité silencieuse vivement préoccupée aujourd’hui. Trentenaire curieux de la vie de la cité, la situation de mon pays m’inquiète et je ressens comme un besoin de vous envoyer cette lettre ouverte via mon blog. Il paraît que les blogs vont compter dans la prochaine campagne…
La France est aujourd’hui pour moi un vieux pays qui a mal vieilli. Il souffre d’une sorte de vieillissement accéléré qui aurait débuté il y a environ une trentaine d’année, soit à peu de chose près mon âge. Les symptômes du vieillard sont nombreux.
Il y a d’abord le sentiment que « c’était mieux avant » car en gros, ma génération n’a connu que la crise. Le choc pétrolier dans les années 70, les années 80 de flambe, une arrivée sur le marché du travail difficile dans les années 90. L’euphorie de la bulle internet n’aura été qu’une parenthèse jusqu’à la période actuelle, franchement morose.
Derrière le « c’était mieux avant », il y a cette idée de sociologue qui se confirme jour après jour autour de moi : la jeune génération vit désormais moins bien que celle de ses parents. Bien sûr nous avons internet et autres technologies, notre quotidien est matériellement plus confortable, mais il est pour nous plus difficile aujourd’hui de construire quelque chose de durable que pour nos parents.
Nous vivons à plein l’ère du zapping, l’époque où l’on jette vite fait ce qui ne plaît plus. Et cela va jusqu’à la politique, où les hommes politiques ne sont plus élus pour ce qu’ils sont et leurs projets, parce qu’il faut battre et éliminer les autres… pour lesquels on revote sans remords la fois suivante.
Dans la moindre discussion en ce moment, et quand il est question de politique, un point majeur revient sans cesse : le manque de courage cinglant de la classe politique. Le manque de courage est patent à gauche et à droite depuis trente ans, sinon nous n’en serions pas là…
Je ne suis pas un spécialiste, et dans le brouhaha médiatique ambiant, et dans ma vie de tous les jours, je constate que…
La Santé va mal. Ce qui devrait être notre priorité absolue ne fonctionne plus : manque de médecins car plus de motivation, attente aux urgences, démobilisation de ceux qui ont à gérer le plus essentiel, nos vies. Ce symptôme est le plus dramatique.
L’Ecole va mal. Elle est troublée par des problèmes de sécurité et, semble-t-il, de moyens. Les filières classiques ne conduisent pas bien à la vie professionnelle et les filières professionnelles sont sous-estimées. On ne les met pas en avant. Les personnels de l’Education Nationale semblent démotivés, alors que nous leur confions l’essentiel : nos enfants. C’est le deuxième symptôme inacceptable.
L’Etat va mal. Le déficit public atteint des records inégalés. Cela me dépasse complètement, mais je traduis que nous vivons au-dessus de nos moyens. Si la France était une entreprise, elle aurait déposé le bilan depuis longtemps. Le même Etat qui se permet tout et n’importe quoi a moins de tolérance avec bien des entreprises en difficultés ou des familles qui ne joignent plus les deux bouts. Cette idée est particulièrement insupportable.
Elle l’est d’autant plus que nous n’avançons pas dans la réforme de ce même Etat. A écouter parfois certains constats, on a l’impression que l’Etat n’appartient plus à personne, que les hauts fonctionnaires en font ce qu’ils veulent au gré de leurs intérêts alors qu’ils devraient strictement rendre compte aux contribuables qui les paient. Pour moi la plus grande absence de courage politique est là.
L’Ecologie va mal. Quand on en parle, c’est le plus souvent dans la caricature. Les Français pourraient être mobilisés pour des petits gestes aux quotidiens, ils ne le sont pas. Ce que font certains de nos voisins depuis des années, nous le refusons par immense égoïsme.
L’Economie va mal. Tous les indicateurs virent au rouge quand ils ne le sont pas encore. Les 35 heures ont bridé plus d’une entreprise en surenchérissant le coût du travail. Il suffisait pourtant de laisser à tous la liberté de choisir : travailler plus ou moins… Nous payons sévèrement une évolution qui semble d’abord avoir profité aux plus privilégiés : ceux qui ont les moyens de profiter de leur temps libre.
Le Travail va mal. Ne parlons pas du chômage, mais de l’inadéquation incroyable entre l’offre et la demande. Des secteurs entiers galèrent au quotidien pour recruter un boucher, un boulanger, un spécialiste du bâtiment, une infirmière… Et ça ne dérange personne. Où sont les grands plans d’actions pour bousculer cet état de fait qui empire. Sans compter que, quoi qu’on dise, le travail est dévalorisé en France depuis les 35 heures. Et nous plongeons dans tous les comparatifs internationaux sur notre compétitivité.
Même le Commerce va mal. Je ne connais pas une personne qui ne se plaint pas du coût de la vie. C’est vrai, le prix de certains produits a fortement augmenté. Mais en même temps, les tentations ont augmenté : téléphone portable, nouvelles technologies et autres écrans haute définition.
L’Esprit d’entreprise peine en France. La création d’entreprise a été facilitée ces dernières années et c’est formidable. Mais il faudra encore une sacrée révolution culturelle avant que la réussite d’un entrepreneur soit saluée et non plus enviée ou jalousée. En France, un patron qui réussit est l’homme à abattre.
La Culture va mal. La presse traditionnelle est en crise. L’industrie du disque cherche son nouveau modèle. Tout devrait être gratuit aux yeux de certains.
La Recherche va mal. Je ne sais pas non plus qui des chercheurs ou du gouvernement a raison. Mais je sais que sans recherche, ou avec une recherche frileuse, le malade ne pourra plus avancer. Du point de vue des sciences et des techniques, on ne peut que avoir l’impression que l’innovation vient d’ailleurs, mais pas tellement de chez nous.
L’Europe va mal. Le seul idéal commun qui pourrait nous rassembler ne nous mobilise pas. Les hommes politiques n’ont pas su – encore ? – nous fédérer autour de l’idée européenne. De nouveaux pays nous ont rejoints récemment, et cela fait plutôt peur qu’autre chose. Et l’on parle maintenant même de la Turquie. C’est à ne plus rien y comprendre, si ce n’est que Bruxelles semble bien lointain et éloigné de notre quotidien.
La France vit réellement sur ses acquis et ne se renouvelle plus. Les corporatismes et autres militantismes de tout bord étouffent le changement. Aucun nouveau souffle ne se lève. Nous pataugeons dans un marasme décourageant, un manque d’ambition collective paralysant.
Une seule chose fonctionne mieux depuis peu : la sécurité. Dans la rue et sur les routes. Depuis l’élection de 2002, la situation a changé. L’état d’esprit des Français, que l’on disait incontrôlables sur la route, s’est profondément modifié. Le discours a changé, les actes ont suivi, on a enfin agi. Preuve que tout est possible quand on le veut.
Mais les Français ont déjà oublié que c’était leur revendication majeure en 2002. Ils ont zappé et tout oublié. Entre temps, il y a eu le non européen au référendum, dans une certaine mesure purement égoïste, revendicatif à court terme et inconscient à long terme. Le moindre désagrément personnel l’emporte sur tous les projets collectifs, même les plus essentiels.
Pourtant regardons autour de nous. Certains pays ont su entreprendre les réformes nécessaires. Prenons l’exemple le plus proche, celui de l’Espagne. Aznar, homme politique jeune par rapport à la moyenne d’âge des élus français, est parti en laissant un pays changé. Mais déjà l’histoire a balayé ses efforts.
Alors comment changer en France ? Comment faire pour ne plus dire que « c’était mieux hier », mais que « l’avenir nous appartient » ?
Dans n’importe quelle organisation qui va mal, les dirigeants sont remerciés, après qu’on leur ait laissé le temps réagir. Dans l’organisation France, nous avons à peu de choses près les mêmes dirigeants depuis 30 ans. C’est vrai qu’à coup de vote on ne leur a pas toujours laissé toute la marge de manœuvre pour réagir, mais c’est aussi vrai que le paysage politique a singulièrement manqué de renouvellement.
C’est bien la preuve qu’une modernisation de la vie politique est urgente et indispensable. Voici 10 propositions de citoyen ordinaire pour cette modernisation de la vie politique :
1. Fixer un âge de la retraite pour les hommes politiques aussi. Après 65 ans, il faut laisser la place à la nouvelle génération. On dit que les anciens sont « sages ». Alors créons un comité des sages qui pourrait être consulté si nécessaire, mais laissons l’action quotidienne aux jeunes.
2. Limiter l’engagement politique à 3 mandats maximum au même poste. Pour l’intérêt général qu’il défend au quotidien, l’homme politique doit comprendre qu’il faut savoir partir.
3. Réformer l’Etat de toute urgence. Simplifier les procédures, mettre de l’huile dans les rouages, exiger des résultats, sanctionner ceux qui font perdre du temps.
4. Recourir plus souvent au référendum. Commençons par demander aux Corses quel avenir ils veulent pour leur île : dans l’indépendance ou la République ?
5. Instaurer un dialogue permanent avec les citoyens en recourant à toutes les nouvelles technologies : internet, mais aussi le téléphone portable dont tous ce sont emparés. Avec sa carte d’identité, chaque Français devrait être doté d’une adresse électronique personnelle à vie. Dans la télé réalité, on nous propose constamment d’envoyer des SMS pour voter pour telle ou telle personnel. Il devrait y avoir constamment des consultations politiques par SMS gratuits.
6. Rendons vraiment accessibles les nouvelles technologies en baissant les prix, en ouvrant des accès partout pour les plus démunis, pour favoriser la communication et la diffusion culturelle.
7. Valoriser sans relâche les exemples. Et donc dépoussiérer la Légion d’honneur. Instaurer une distinction plus actuelle et plus valorisante, moins pompeuse. Des personnalités anonymes mériteraient parfois bien plus de distinctions que d’autres. Leur offrir cette chance. Mettre en avant des jeunes aussi. Insufflons l’esprit d’entreprendre quel que soit le domaine et saluons les réussites. Communiquons vraiment là-dessus.
8. Rendons encore mieux compte du travail de nos élus en communiquant plus ce qu’ils font, notamment dans les assemblées.
9. Moderniser la vie politique, c’est conduire le citoyen à réaliser l’incroyable chance qu’il a de pouvoir voter et d’utiliser à fond ce mode d’expression. Il doit comprendre tout le sens qu’il peut donner à une élection et donc la responsabilité qu’il a dans la situation de son pays. Cela commence à l’Ecole, où l’instruction civique n’est de loin plus ce qu’elle était.
10. Moderniser la vie politique c’est d’abord instaurer le courage politique comme valeur essentielle et partagée. Pourquoi tant de rapports paraissent-ils pour être aussitôt enterrés ? Surtout, s’il y avait eu un peu plus de courage ces dernières années, à gauche et à droite, nous n’en serions pas là.
La modernisation de la vie politique est le préalable au retour de la confiance en nos hommes politiques et, bien plus, en l’avenir de notre pays. La France ne pourra pas entrer dans la modernité sans de nouvelles pratiques du pouvoir.
Le prochain Président de la république a une immense responsabilité, la plus grande de toutes les dernières élections.
« La politique, c’est le goût de l’avenir. » J’aimerais tant croire à cette citation trop souvent démentie. La défense des intérêts particuliers, les petits renoncements, les grandes lâchetés collectives nous ont conduits où nous sommes.
Comment m'assurer que celui pour lequel je voterai en 2007 aura le courage, malgré tous les sacrifices, de changer la vie ? Mesdames et messieurs les candidats, je vous remercie de répondre à cette question.
Pépites
Libellés : Politique