8.10.07

Comment Internet change la vie

La journaliste Catherine Vincent me semble poser les bonnes questions concernant l'influence d'Internet sur les jeunes :

"Quels comportements auront à l'âge adulte ces enfants de la Net-génération ? Seront-ils plus sociaux que les générations précédentes ? Plus solitaires ? Affectivement plus fragiles, intellectuellement plus polyvalents ? Certitude : d'ores et déjà, leur réseau de sociabilité s'étend bien au-delà du réseau des contacts physiques. " Etre fille ou fils de... compte moins aujourd'hui qu'être en lien avec... ", constate Sylvie Octobre, sociologue au département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture. " Ce que les jeunes sont en train d'apprendre, c'est à être capable d'entretenir la bonne relation avec la bonne personne en n'importe quel point de la planète. " Un " capital social " qui, selon elle, constituera un véritable avantage dans nos sociétés futures."

Avec les communautés virtuelles, poursuit-elle, chacun prend conscience qu'il est un individu parmi des millions d'autres, mais aussi qu'il peut être contacté depuis le monde entier. Cela confère aux adolescents une légitimité nouvelle, qu'ils ne trouvent ni en famille ni dans le milieu scolaire. " Au sein de la sphère privée et familiale, ces nouvelles compétences ne vont pas sans bouleverser les principes traditionnels. A la transmission descendante, des parents aux enfants, s'est ainsi ajoutée une transmission ascendante, des enfants aux parents... Et, surtout, une transmission horizontale entre pairs. (…)

Tout de même : à trop fréquenter ces communautés virtuelles, nos enfants ne risqueraient-ils rien d'autre que de mauvaises rencontres ? Les dédoublements d'identité (pseudos, avatars) dont ils usent avec bonheur ne peuvent-ils être nocifs pour le développement de leur personnalité ? " Bien au contraire, l'alter ego numérique peut parfois redonner un peu de souffle à notre être réel ", estime le psychologue Michael Stora. (…) En revanche, il craint que l'usage immodéré de l'ordinateur n'entraîne, pour les plus fragiles (des garçons, pour l'essentiel), " la disparition des rencontres en IRL " (" in real life " : dans la vie réelle).

" La cyberdépendance, quand elle est avérée, vient toujours mettre au jour un problème, remarque-t-il toutefois. Comme pour l'alcool et le tabac, l'objet technologique révèle chez certains individus une structure addictive, mais il ne la fabrique pas. " Toxiques pour certains, les TIC auraient pour d'autres des fonctions curatives. " Beaucoup de gens se soignent par le biais des chats ou des forums, et utilisent ces outils comme des expériences auto-thérapeutiques ", poursuit M. Stora, que la clinique a conduit à rencontrer nombre de personnes " ayant osé, grâce à cette pratique solitaire, affronter et dire certaines choses ". Le Web deviendra-t-il, parmi d'autres, un remède contre les maux de l'âme ? L'avenir dira si ces lieux virtuels constituent " un nouvel opium du peuple, grâce auquel chacun pourra exprimer sa violence intérieure tout en étant, dans la vie réelle, plus soumis qu'aujourd'hui ". Ou s'ils seront, au contraire, des endroits " où l'on apprendra l'insoumission "...

Moins pudiques, plus agiles et plus inventifs, les enfants de la Toile, à en croire certains, présenteraient toutefois une tare majeure : à force d'être sollicités par mille choses à la fois, leur capacité de concentration se réduirait comme peau de chagrin. Mais comment en être sûr ? Et qu'est-ce qui sera le plus utile dans la société de demain : être capable de se fixer longtemps sur une même activité, ou gérer plusieurs tâches en même temps ?

" A en juger par l'évolution récente du marché du travail, de nombreux métiers demanderont de plus en plus de savoir être polyactif ", estime Mme Octobre. Pour cette sociologue, le vrai enjeu, en termes de maîtrise de la connaissance, ne concernera pas la capacité de concentration, mais la hiérarchie de l'information. " Pour réussir, il faudra de plus en plus avoir appris à trier, sélectionner et classer par ordre de pertinence la masse d'informations disponibles sur le Net. Là résideront la vraie difficulté, et la vraie source d'inégalités. " Un terrain sur lequel, dès aujourd'hui, l'éducation a un rôle majeur à jouer."

Source : Le Monde, 07/10/07

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