15.1.07

Géopolitique : nos représentations traditionnelles bouleversées

Extraits du dernier éditorial de Jean-Marie Colombani, patron du Monde : " Une tendance lourde est apparue, de celles qui bouleversent notre avenir : l'organisation géopolitique de la planète non plus selon le traditionnel rapport de force Nord-Sud, mais cette fois bel et bien Sud-Sud. Ce sont des pays dits "émergents", les puissances de demain (Chine, Inde, Brésil), qui, ayant pris le chemin de la croissance et du développement, ont commencé de s'organiser hors des directives et des impulsions venues du Nord, de nos pays.

Un événement, qui a paru sur le moment presque anecdotique, fait figure de symbole de ce renversement au profit d'une dynamique Sud-Sud : le sommet qui a réuni à Pékin les principaux pays d'Afrique. La mondialisation, c'est d'abord cela. Non pas seulement un geste politique qui symbolise la puissance montante, commerciale, de plus en plus financière et politique, de la Chine, mais aussi le signe annonciateur d'un moment où les pays émergents cesseront d'être notre périphérie pour devenir les moteurs de la croissance mondiale, et les acteurs d'une nouvelle géopolitique dont nous tardons à prendre conscience tant elle bouleverse nos représentations traditionnelles. Nouveauté qui, rapportée à notre point de vue de pays du Nord développé et riche, se traduit par la perte de "monopoles" traditionnels.

- La perte du monopole de la richesse. Américains et Européens s'y étaient habitués : le monde développé, c'était ici, chez nous. Les autres s'efforçaient de nous rattraper ou, à la suite de l'URSS, s'épuisaient dans l'expérimentation peu concluante, voire désastreuse, d'autres modèles. (…)

- La perte du monopole des classes moyennes. Le phénomène va devenir massif, avec l'accession au bien-être matériel, traduit par un revenu par tête moyen comparable à celui du Nord, de centaines de millions de personnes. Et une première manifestation de cette évolution : le bonheur des uns (les nouvelles classes moyennes) semble alimenter le mal-être des autres (les nôtres). (…)

- La perte du monopole de l'impérialisme économique. C'est principalement de la Chine qu'il est question. Pékin se comporterait en Afrique en prédateur de matières premières, vendeur de produits made in China et soutien de régimes dictatoriaux et corrompus. La Chine est en effet en passe de déployer sur le continent africain un néocolonialisme qui n'a rien à envier à celui des Européens ou des Américains. (…)

- La perte, enfin, du monopole du récit sur le monde. C'est nous qui racontions l'histoire à travers le prisme de nos préjugés ; ce sont nos agences de presse, nos télévisions, nos magazines, nos journaux qui dominaient le monde des médias. Instrument de pouvoir, cette prépondérance médiatique n'est plus. Elle est malmenée par la Toile et concurrencée par les chaînes de télévision du Proche-Orient, d'Asie, qui racontent à leur tour l'histoire à l'aune de leur perception, c'est-à-dire à travers le prisme de leurs préjugés, et ceux de leurs pays. L'empire CNN est contrebalancé, et même contredit, par l'empire Al-Jazira. Les frontières de la bonne - et de la mauvaise - conscience vont donc elles aussi changer. " (lemonde.fr, 30/12/06)

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