Malgré internet, le livre va s'épanouir

" Internet permet de mettre à la portée de tous les richesses écrites accumulées au long des siècles. Là est la vraie révolution. Mais se pose la question de l'organisation et de la circulation de ce savoir. Dans un moteur de recherche de type Google, il y a à la fois la capacité de récolter toutes les données du monde et un désordre inquiétant, quelque chose de fruste dans ce «rouleau» qui tourne. C'est le royaume du «vrac» : les informations sont présentées à la «va comme j'te pousse», selon des critères de classement qui ne sont pas intrinsèques à la pensée elle-même... Ce sont des touffes qu'on jette sur Internet. Pourtant seuls les bouquets ont un sens. Internet nous livre de l'information avec une grande part de hasard, sans possibilité de relier les morceaux les uns avec les autres. Pour en faire son miel, il faut avoir dans la tête une culture, un moyen de classement, une rigueur, une réflexion organisée. D'où une inégalité insupportable entre ceux qui en disposent et les autres, inégalité qu'il faut combattre… Je crois à la culture. Si nous la laissons en vrac à nos enfants, sans leur apprendre que la civilisation consiste à organiser le désordre et à hiérarchiser la pensée, alors on justifiera l'inquiétude de Socrate, qui disait à propos de l'invention de l'écriture : « Au lieu d'être savants, c'est savants d'illusion [que tes élèves] seront devenus. » Quant au livre, il va s'épanouir, il va vivre gaillardement. Internet va le conforter ! On peut désormais exhumer des livres d'occasion ou des ouvrages introuvables, ou refaire un tirage à quelques exemplaires. En réalité, le livre utilisera Google et Internet en riant sous cape, pour se réinstaller dans notre intimité. Quelle chance ! " Dixit l'historien et président de la Bibliothèque nationale de France Jean-Noël Jeanneney. (lexpress.fr, 17/08/06)